Sunday, October 19, 2008












François Villon

(1431 - 1463)

Le triste, le méchant, le joyeux et le fou,
Je t’évoque, Villon, maudit d’un autre temps,
Dont les rythmes, comme un éclair éblouissant,
Des cieux du Moyen Âge ont strié l’azur flou.

Galle parmi les rues après le couvre-feu
Pour festoyer ensuite à la Pomme de Pin,
Ta bohème commence et de nonchaloir plein,
Chante le Pet au Diable et Tabarie le Gueux.

Va-t’en par les chemins détrousser les marchands
Coquillard éhonté et pauvre de chevance ;
Va ! pauvre gueux honni, rythmer dans ta souffrance
Ta profonde nostalgie des neiges d’antan.

Mais la Coquille est morte et tous les gais compaings
Sont jetés dans les puits, pendus ou échaudés
Et par l’azur noirci des beaux soirs étoilés,
L’Errant demande grâce en dérobant son pain.

Rentre à Paris, Villon, jouer au Trou Perrette,
Léandre renié de Rose ou Catherine,
Et sur un rythme cher, chanter ces gourgandines,
Lourdes d’âmes d’amour de ton coeur de poète.

Fuis les cours où tu dois plier comme un roseau
Car aucun des puissants ne se souciera mie
De Villon expiant les fautes de sa vie
En l’humide nuit des cachots de Montpipeau.

Puis sois libre ! voici l’avènement du roy ;
Comme une aube plus blanche après un mauvais rêve,
Sentant couler en toi l’émoi des vertes sèves,
Note une autre nuance aux symphonies du moi.

Va, plein de clair de lune et du frôlis des vents
L’âme meurtrie à tous les cailloux de la vie
Tisser avec le fil de ton coeur en charpie
Aux trames de misère un poème vibrant.

Et superbe, maudit, faible, triste et pervers,
Incompris des puissants qui t’ont drapé de crime,
T’éteindre à Saint-Benoît, méprisé, pauvre, infime :
Les aubes sont à naître où fleuriront tes vers …

Que les grands aient chargé ce génial vagabond
Parce qu’il fut goupil en un siècle de loups,
J’aime à travers les temps mon grand frère Villon,
Le triste, le méchant, le joyeux et le fou !

Ballade de la belle Heaulmière

Aux filles de joie

« Or y pensez, belle Gantiere
Qui escoliere souliez estre,
Et vous, Blanche la Savetiere,
Or est il temps de vous cognoistre :
Prenez a destre et a senestre,
N'espargniez homme, je vous prie,
Car vielles n'ont ne cours ne estre
Ne que monnoye qu'on descrye.

« Et vous, la gente Saulcissiere,
Qui de dancer estes adestre,
Guillemete la Tappiciere,
Ne mesprenez vers vostre maistre :
Tost vous fauldra clore fenestre ;
Quant deviendrez, vielle, fleterye,
Plus ne servirez q'un viel prestre
Ne que monnoye c'on descrye.

« Jehanneton la Chapperonniere,
Gardez qu'amy ne vous empestre ;
Et Katherine la Bourciere,
N'envoyez plus les hommes paistre,
Car qui belle n'est ne perpestre
Leur male grace mais leur rie,
Laide viellesse amour n'impestre
Ne que monnoye c'on descrye.

« Filles, vueilliez vous entremectre
D'escouter pourquoy pleure et crye :
Pource que je ne me puis mectre
Ne que monnoye c'on descrye.»

LVII
Ceste leçon icy leur baille
La belle et bonne de jadiz.
Bien dit ou mal, vaille que vaille,
Enregistrer j'ay fait ses diz
Par mon clerc Fremin l'estourdiz,
Aussi rassiz que je pense estre,
S'il me desment, je le mauldiz :
Selon le clerc est deu le maistre.

LVIII
Sy aperçoy le grant danger
Ouquel omme amoureux se boute.
Et qui me vouldroit laidanger
De ce mot, en disant : « Escoute !
Se d'amer t'estrange et reboute
Le barrat de celles nommees,
Tu faiz une bien folle doubte,
Car ce sont femmes diffamees.

LIX
S'ilz n'ayment fors que pour l'argent,
On ne les ayme que pour l'eure ;
Rondement ayment toute gent
Et rient lors quant bourse pleure.
De celles cy n'est qui ne queure ;
Mais en femmes d'onneur et nom
Franc homme, se Dieu me sequeure,
Se doit emploier; ailleurs non. »

LX
Je prens qu'aucune dye cecy,
Sy ne me contente il en rien.
En effect il conclud ainsi,
Et je le cuide entendre bien,
Qu'on doit amer en lieu de bien.
Assavoir mon se ces fillectes
Qu'en parolles toute jour tien,
Ne furent ilz femmes honnestes ?

LXI
Honnestes si furent vrayment,
Sans avoir reprouches ne blasmes.
Sy est vray qu'au commencement
Une chacune de ces femmes
Lors prindrent, ainsi qu'eussent diffames.
L'une ung clerc, ung lay, l'autre ung moyne,
Pour estaindre d'amours les flasmes
Plus chaudes que feu saint Antoyne.

LXII
Or firent selon ce decret
Leurs amys, et bien y appert :
Ilz amoient en lieu secret,
Car autre d'eulx n'avoit part.
Touteffoiz ceste amour se part,
Car celle qui n'en avoit q'um
De celluy s'eslongne et depart
Et ayme mieulx aymer chascun.

LXIII
Qui les meut a ce ? G'ymagine,
Sans l'onneur des dames blasmer,
Que c'est nature femininne
Qui tout unyement veult amer.
Autre chose n'y sçay rimer
Fors qu'on dit a Rains et a Troys,
Voire a L'Isle et a Saint Omer,
Que six ouvriers font plus que trois.

LXIV
Or ont ces folz amans le bont
Et les dames prins la vollee ;
C'est le droit loier qu'amans ont,
Toute foy y est vïollee,
Quelque doulx baisier n'acollee.
De chiens, d'oiseaulx, d'armes, d'amours,
C'est pure verité devollee
Pour ung joye cent doulours

Ballade de Villon et de la Grosse Margot

Se j'ayme et sers la belle de bon het,
M'en devez vous tenir ne vil ne sot ?
Elle a en soy des biens affin soubzhet ;
Pour son amour seins boucler et passot.
Quant viennent gens, je cours et happe ung pot,
Au vin m'en voys, sans demener grant bruyt ;
Je leur tens eaue, froumaige, pain et fruyt.
S'ilz paient bien, je leur diz : «Bene stat,
Retournez cy, quant vous serez en ruyt,
En ce bordeau ou tenons nostre estat. »

Mais adoncques, il y a grant deshet,
Quant sans argent s'en vient coucher Mergot ;
Voir ne la puis, mon cueur a mort la het.
Sa robe prens, demy seint et seurcot,
Sy luy jure qu'il tendra pour l'escot.
Par les costez se prent, c'est Antecrist,
Crye et jure, par la mort Jhesucrist
Que non fera. Lors empoingne ung esclat,
Dessus son nez lui en faiz ung escript,
En ce bordeau ou tenons nostre estat.

Puis paix se fait, et me fait ung groz pet,
Plus enffle qu'un velimeux escarbot.
Riant, m'assiet son poing sur mon sommet,
Gogo me dit, et me fiert le jambot ;
Tous deux yvres dormons comme ung sabot.
Et au resveil, quant le ventre lui bruyt,
Monte sur moy, que ne gaste son fruyt,
Soubz elle geins, plus qu'un aiz me fait plat ;
De paillarder tout elle me destruyt,
En ce bordeau ou tenons nostre estat.

Vente, gresle, gesle, j'ay mon pain cuyt.
Je suis paillart, la paillarde me suyt.
Lequel vault mieulx ? Chascun bien s'entressuyt,
L'un vault l'autre, c'est a mau rat mau chat.
Ordure aimons, ordure nous affuyt;
Nous deffuyons honneur, il nous deffuyt,
En ce bordeau ou tenons nostre estat.

CLI
Item, a Marïon l'Idolle
Et la grant Jehanne de Bretaigne
Donne tenir publicque escolle
Ou l'escollier le maistre enseigne.
Lieu n'est ou ce merchié ne tiengne,
Synom a la grisle de Meun ;
De quoy je diz: « Fy de l'enseigne,
Puisque l'ouvrage est si commun ! »

CLII
Item, et a Noel Jolis,
Autre chose je ne lui donne
Fors plain poing d'oziers frez cueilliz
En mon jardin - je l'abandonne :
Chastoy est une belle aumosne,
Ame n'en doit estre marry - :
Unze vings coups luy en ordnne
Livrez par les mains de Henry.

CLIII
Item, ne sçay qu'a l'Ostel Dieu
Donner, n'a povres hospitaulx.
Bourdes n'ont icy temps ne lieu,
Car povres gens ont assez maulx.
Chacun leur envoyë leurs oz :
Les Mendïans ont eu mon oye ;
Au fort, ilz en auront lez oz ;
A meunes gens menue monnoye.

CLIV
Item, je donne a mon barbier,
Qui se nomme Colin Galerne,
Pres voisin d'Angelot l'erbier,
Ung gros glaçon - prins ou ? en Marne -,
Afin qu'a son aise s'yverne.
De l'estomac le tiengne pres :
Se l'iver ainsi se gouverne,
Il aura chault l'esté d'aprés.

CLV
Item, riens aux Enffans Trouvés,
Mais les perduz falut que consolle ;
Sy doivent estre retrouvez,
Par droit sur Marïon l'Idolle.
Une lecon de ma escolle
Leur liray, qui ne dure guerre ;
Teste n'ayent dure ne folle,
Escoutent ! et car c'est la derniere

Ballade des dames du temps jadis

Dites-moi où, n'en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, ni Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Écho parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu'humaine
Mais où sont les neiges d'antan?

Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Abelard à Saint-Denis?
Pour son amour eut cette essoine.
Semblablement, où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fut jeté en un sac en Seine?
Mais où sont les neiges d'antan?

La reine Blanche comme lis
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied, Bietris, Alis,
Haremburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne la bonne Lorraine
Qu'Anglais brûlèrent à Rouen;
Où sont-ils, où, Vierge souvraine?
Mais où sont les neiges d'antan?

Prince, n'enquerez de semaine
Où elles sont, ne de cest an,
Qu'à ce refrain ne vous remaine:
Mais où sont les neiges d'antan?

Ballade des femmes de Paris

Quoy qu'on tient belles langagieres
Florentines, Veniciennes,
Assez pour estre messagieres,
Et mesmement les anciennes;
Mais, soient Lombardes, Rommaines,
Genevoises, à mes perilz,
Pimontoises, Savoisiennes,
Il n'est bon bec que de Paris.

De tres beau parler tiennent chayeres,
Se dit-on, les Neapolitaines,
Et sont tres bonnes caquetieres
Allemandes et Pruciennes;
Soient Grecques, Egipciennes,
De Hongrie ou d'autre pays,
Espaignolles ou Castellaines,
Il n'est bon bec que de Paris.

Brettes, Suysses, n'y sçavent gueres,
Gasconnes, n'aussi Toulousaines;
De Petit Pont deux harangieres
Les concluront; et les Lorraines,
Engloises et Calaisiennes,
-- Ay je beaucoup de lieux compris? --
Picardes de Valenciennes;
Il n'est bon bec que de Paris.

ENVOI
Prince, aux dames Parisiennes
De beau parler donne le pris;
Quoy qu'on die d'Italiennes,
Il n'est bon bec que de Paris.


CXLV
Regarde m'en deux, troys assises
Sur le bas du ply de leurs robes
En ces moustiers, en ces eglises ;
Tire t'en près et ne te hobes ;
Tu trouveras la que Macrobes
Oncques ne fist telz jugemens.
Entens, quelque chose en desrobes :
Ce sont tous beaulx enseignemens.

CXLVI
Item, et au mont de Montmartre,
Qui est ung lieu moult ancïen,
Je lui donne et adjoincts le tertre
Qu'on dit de mont Valerïen,
Et oultre plus un quartier d'an
Du pardon qu'apportay de Romme ;
Sy yra maint bon chrestïen
En l'abbaye ou il n'entre homme.

CXLVII
Item, varletz et chamberieres
De bons hostelz - riens ne me unyt ! -
Feront tartes, flans et goyeres
Et grans ralïatz a mye nuyt
- Riens n'y font sept pintes ne huit
Tant que gisent seigneur et dame -,
Puis aprés, sans mener grant bruyt,
Je leur ramentoy le jeu d'asne.

CXLVIII
Item, et a filles de bien,
Qui ont peres, meres et antes,
Par m'ame, je ne donne rien,
Car j'ay tout donné aux servantes.
Sy feussent ilz de peu contentes ...
Grant bien leur feissent mains loppins,
Aux povres filles, ennementes,
Qui se perdent aux Jacoppins,

CXLIX
Aux Celestins et aux Chartreux ;
Quoy que vie mainent estroicte,
Sy ont ilz largement entre eulx
Dont povres filles ont souffrecte;
Tesmoing Jacqueline, et Perrecte,
Et Ysabeau qui dit : « Enné ! ».
Puis qu'ilz en ont telle disecte,
A peine en seroit on dampné.

CL
Item, a la Grosse Margot,
Tres doulce face et pourtraicture,
- Foy que doy, brulare bigot,
A si devocte creature,
Je l'ayme de propre nature,
Et elle moy, la doulce sade -,
Qui la trouvera d'aventure,
Qu'on lui lise ceste ballade.

Double ballade sur le même propos

Pour ce, aimez tant que vouldrez,
Suyvez assemblées et festes,
En la fin ja mieulx n'en vauldrez
Et si n'y romprez que vos testes:
Folles amours font les gens bestes;
Salmon en ydolatria;
Samson en perdit ses lunetes.
Bien est eureux qui riens n'y a!

Orpheüs, le doux menestrier,
Jouant de fleustes et musetes,
En fut en danger de murtrier
Chien Cerberus à quatre testes;
Et Narcisus, le bel honnestes,
En ung parfont puis se noya,
Pour l'amour de ses amouretes ...
Bien est eureux qui riens n'y a!

Sardana, le preux chevalier,
Qui conquist le regne de Cretes,
En voulut devenir moullier
Et filler entre pucelletes.
David le roy, sage prophetes,
Crainte de Dieu en oublia,
Voyant laver cuisses bien faites...
Bien est eureux qui riens n'y a!

Amon en voulst deshonnourer,
Faignant de menger tarteletes,
Sa seur Thamar, et desflourer,
Qui fut inceste deshonnestes;
Herodes -- pas ne sont sornetes --
Saint Jean Baptiste en decola
Pour dances, saulx, et chansonnetes...
Bien est eureux qui riens n'y a!

De moy, povre, je vueil parler;
J'en fuz batu, comme à ru toiles,
Tout nu, ja ne le quiers celer.
Qui me feist mascher ces groselles,
Fors Katherine de Vausselles?
Noel le tiers est, qui fut là.
Mitaines à ces nopces telles,
Bien est eureux qui riens n'y a!

Mais que ce jeune bachelier
Laissast ces jeunes bacheletes,
Non! et, le deust on vif brusler
Comme ung chevaucheur d'escouvetes,
Plus doulces luy sont que civetes.
Mais toutesfoys fol s'y fya:
Soient blanches, soient brunetes,
Bien est eureux qui riens n'y a!

LXV
Se celle que jadiz servoye
De si bon cueur et loyaulment,
Dont tant de maulx et griefz j'avoye
Et souffroye tant de tourment,
Se dit m'eust au commencement,
Sa voulenté, mais nennil, las !
J'eusse mis paine aucunement
De moy retraire de ses las.

LXVI
Quoy que je lui voulsisse dire,
Elle estoit preste d'escouter
Sans m'acorder ne contredire.
Qui plus, me souffroit acouter
Joignant d'elle, près sacouter ...
Et ainsi m'aloit amusant
Et me souffroit tout raconter,
Mais ce n'estoit qu'en m'abusant.

LXVII
Abusé m'a et fait entendre
Tousjours d'un que ce feust ung aultre :
De farine que ce feut cendre,
D'un mortier ung chappel de faultre,
De viel machefer que feust peaultre,
D'ambesars que c'estoïent ternes
- Tousjours trompeur autruy engautre
Et rent vecyes pour lanternes -,

LXVIII
Du ciel, une paille d'arrain,
Des nues une peau de veau,
Du main que c'estoit le serain,
D'ung troignon de chou, ung naviau,
D'ordre servoyse vin nouveau,
D'une truye ung molin a vent
Et d'une hart ung escheveau,
D'ung graz abé ung poursuivant.

LXIX
Ainsi m'ont Amours abusé
Et pourmené de l'uys au pesle.
Je croy qu'omme n'est si rusé,
Fust fin com argent de coupelle,
Qui n'y laissat linge, drappelle,
Mais qu'il fut ainsi manïé
Comme moy, qui partout m'appelle
L'amant remys et regnÿé.

LXX
Je regnye Amours et despite
Et deffie a feu et a sang.
Mort par elles me precepicte,
Et ne leur en chault pas d'un blanc.
Ma vïelle ay mis soubz le banc,
Amans je ne suiveray ja maiz ;
Se jadiz je fuz de leur renc,
Je declaire que n'en suis maiz ;

LXXI
Car j'ay mis le plumail au vent :
Or les suive qui a actente !
De ce me taiz doresnavent,
Car poursuivre je vueil mon entente.
Et s'aucun m'interrogue ou tente
Comment d'Amours j'ose mesdire,
Ceste parolle le contente :
« Qui meurt a ses loix de tout dire » .

LXXII
Je congnois approucher ma seuf,
Je crache blanc comme coton
Jacoppins groz comme ung esteuf.
Qu'esse a dire ? que Jehanneton
Plus ne me tient pour valleton,
Mais pour ung viel usé rocquart :
De viel porte voix et le ton,
Et ne suis q'un jeune cocquart.

LXIII
Dieu mercy ... et Tacque Thibault,
Qui tant d'eaue froide m'a fait boire,
En ung bas, non pas en ung hault,
Menger d'angoisse mainte poire,
Enferré ... Quant j'en ay memoire,
Je prie pour luy, et relicqua ,
Que Dieu luy doint, et voire voire,
Ce qui je pense, et cetera.

LXXIV
Toutesfoiz, je n'y pense mal
Pour lui, et pour son lieutenant,
Aussi pour son officïal
Qui est paisant et advenant,
Que faire n'ay du remenant
Mais du petit maistre Robert :
Je les ayme tout d'un tenant,
Ainsi que fait Dieu le Lombart.

LXXV
Sy me souvient bien, Dieu mercis,
Que je feiz a mon partement
Certains laiz, l'an cinquante six,
Qu'aucuns, sans mon consentement,
Voulurent nommer testament ;
Leur plaisir fut, non pas le myen.
Mais quoy ! on dit communement
Q'ung chacun n'est maistre du sien.

LXXVI
Pour les revocquer ne le diz,
Et y courrust toute ma terre.
De pictié ne suis reffroydiz
Envers le bastart de la Barre :
Parmy ses troys gluyons de feurre
Je lui donne mes vieilles nattes ;
Bonnes seront pour tenir serre
Et soy soustenir sur les pates.

LXXVII
S'ainsi estoit qu'aucun n'eust pas
Receu le laiz que je lui mande,
J'ordonne qu'aprés mon trespas
A mes hoirs en face demande.
Mais qui sont ilz ? Si le demande
Morreau, Prouvins, Robin Turgis :
De moy, dictes que je leur mande,
Ont eu jusqu'au lit ou je gis.

LXVIII
Somme, plus ne diray qu'un mot,
Car commencer vueil a tester.
Devant mon clerc Fremin qui m'ot,
S'il ne dort, je vueil protester
Que n'entens homme detester
En ceste presente ordonnance,
Et ne la vueil manifester ...
Synon ou royaume de France.

LXXIX
Je sens mon cueur qui s'affoiblist
Et plus je ne puis papïer.
Fremin, siez toy pres de mon lit,
Que l'en m'y viengne espïer.
Pren ancre tost, plume et pappier,
Ce que nomme escriptz vistement,
Puis fay le partout coppïer.
Et vecy le commencement.

LXXX
Ou nom de Dieu, Pere eternel,
Et du Filz que vierge parit,
Dieu au Pere coeternel
Ensemble et le Saint Esperit,
Qui sauva ce qu'Adam perit
Et du pery parre les cyeulx ...
Qui bien ce croit peu ne merit,
Gens mors estre faiz petiz dieux.

LXXXI
Mors estoïent et corps et ames,
En dampnee perdicïon,
Corps pourriz et ames en flasmes,
De quelconcque condicïon.
Toutesffoiz fais excepcïon
Des patriarches et prophectes,
Car, selon ma concepcïon,
Oncques grant chault n'eurent aux fesses.

LXXXII
Qui me diroit : « Qui vous fait mectre
Si tres avant ceste parolle,
Qui n'estes en theologie maistre ?
A vous est presumpcïon folle »,
C'est de Jhesus la parabolle
Touchant du riche ensevely
En feu, non pas en couche molle,
Et du ladre de dessus ly.

LXXXIII
Se du ladre eust veu le doyt ardre;
Ja n'en eust requis reffrigere
N'au bout d'icelluy doiz aerdre
Pour raffreschir sa machoüoire.
Pÿons y feront macte chierre,
Qui boyvent pourpoint et chemise !
Puis que boiture y est si chiere.
Dieux nous garde de la main mise !

LXXXIV
Ou nom de Dieu, comme j'ay dit,
Et de sa glorïeuse Mere,
Sans pechié soit parfait ce dit
Par moy, plus maigre que chimere;
Se je n'ay eu fievre enfumere,
Ce m'a fait divine clemence ;
Mais d'autre dueil et perte amere
Je me tais, et ainsi commence.

LXXXV
Premier doue de ma povre ame
La glorïeuse Trinité,
Et la commande a Nostre Dame,
Chambre de la divinité,
Priant toute la charité
Des dignes neuf ordres des cieulx
Que par eulx soit ce dont porté
Devant le trosne precïeulx.

LXXXVI
Item, mon corps j'ordonne et laisse
A nostre grant mere la terre ;
Les vers n'y trouveront grant gresse,
Trop lui a fait fain dure guerre.
Or luy soit delivré grant erre,
De terre vint, en terre tourne !
Toute chose, se par trop n'erre,
Voulentiers en son lieu retourne.

LXXXVII
Item, et a mon plus que pere,
Maistre Guillaume de Villon,
Qui esté m'a plus doulx que mere,
Enffant eslevé de maillon
- Degecté m'a de maint boullon
Et de cestuy pas ne s'esjoye ;
Sy lui requier a genoullon
Qu'il m'en laisse toute la joye -,

LXXXVIII
Je luy donne ma librairye
Et le roumant du Pet au Deable,
Lequel maistre Guy Tabarye
Grossa, qui est homs veritable.
Par cayeulx est soubz une table ;
Combien qu'il soit rudement fait,
La matiere est si tres notable
Qu'elle admende tout le meffait.

LXXXIX
Item, donne a ma povre mere,
Pour saluer nostre Maistresse,
Qui pour moy ot douleur amere,
Dieu le scet, et mainte tristesse
- Autre chastel n'ay ne forteresse
Ou me retraye corps ne ame
Quant sur moy court malle destresse,
Ne ma mere, la povre femme -.

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